Un étudiant en médecine découvrant la morgue

«Ne mens pas! Si tu veux mentir, mens sur des morts.» Un proverbe que les vivants se disent souvent.

Au cours de mes études en médecine, l'étape ultime d'être en contact avec le monde des morts est enfin arrivée... La mort rime avec le froid, avec le silence, telle est la première impression qui m'a frappé lors de mon entrée à la morgue du CHU de Constantine il y a deux semaines. Un sentiment inexplicable pour le moins dire «bizarre»; une sorte d'énergie invisible qui me traversait le corps, une énergie apaisante, lénifiante. Une charge de calme et de quiétude, une tension reposante... C'était un moment de contradiction et de paradoxes dans le hall de la morgue, un genre de silence bruyant régnait dans les lieux, un silence qui parle... Après méditation, j'ai conclu quand je suis rentré chez moi que tout vivant a le droit et le devoir de goûter à ce curieux sentiment un jour ou l'autre dans sa vie.

C'était difficile pour moi –un homme de sciences– de se mettre dans la peau de quelqu'un d'autre qui se serait mis à me raconter une telle expérience qui me semblerait totalement farfelue à mes yeux, mais les faits sont là! Et les explications n'en manquent pas... Pour les plus scientifiques, ils vont tout expliquer par une réaction psychologique face à un endroit aussi hautement symbolique qu'est la morgue. Pour les plus métaphysiciens, ils vont tous expliquer par l'endroit hautement hanté par les âmes des morts qui continuent d'errer sur terre et à survoler leur corps délaissés. Qu'elle que soit l'explication, tous se mettront d'accord sur le fait que c'est une expérience qui marque tout vivant, nul importe ses convictions.

A se balader dans le service de la Médecine Légale, on finit vite par voir ces sortes de frigos dans lesquels on conserve les cadavres. Une curiosité innocente naît tout naturellement pour savoir ce qu'elles contiennent. Avec mon groupe d'étudiants, on est enfin accueilli avec le sourire du médecin chargé de notre TP... et quel TP! Voilà qu'il ouvre cette salle fermée au milieu de laquelle on peut deviner une silhouette d'un corps d'adulte roulé dans un linceul blanc taché d'un peu de sang. Les garçons de mon groupe entrent la tête haute –ou font semblant–, les filles entrent hésitantes... Le médecin se tenant tout proche du cadavre, et nous, faisant cercle qui ne cesse de s'agrandir à petits pas en arrière par peur de cette chose qui dort comme nous mais différente de nous... il commence froidement –à nos yeux– à nous expliquer les phénomènes qui se passent sur le corps d'un mort tout en déroulant progressivement le tissu blanc... Cela ressemblait à un film d'horreur où le méchant-médecin prends sadiquement du plaisir à donner un avant-goût de torture à ses victimes... Le docteur a déjà déroulé quelque tours du linceul qu'une partie de la peau de ce cadavre se laisse voir, d'une horrible couleur jaune-citron, on comprend vite pourquoi la mort rime avec le froid.

On ne peut pas se retenir de se projeter dans l'état duquel se trouve ce corps. On s'est retrouvé moi et mes amis devant la réalité ultime, devant la chose vers laquelle nous allons doucement mais sûrement avec chaque battement de notre cœur qui marque la cadence de notre compte à rebours.

On est à la fois confronté à un humain, mais c'est un humain qui ne bouge pas, inerte... c'est très bizarre d'être devant un mort! La mort semble un évènement qui hôte l'épithète d'«humain» et le qualificatif d'«être» d'un individu qui ne devient guère différent d'une statue ou d'une poupée. Les civilisations n'ont jamais cessé de personnifier la mort, parmi les plus célèbres: La «Faucheuse» en robe noire qui vient avec sa gigantesque faux emmener les âmes des morts.

La mort provoque la fascination de l'être humain, c'est pour cela qu'il y a tant de mythes autour de ce sujet, c'est pour cela qu'il est considéré le plus souvent comme tabou. Mais aussi, c'est l’explication de notre soif insatiable des films d'horreur même par ceux qui les détestent, alors comment expliquer qu’un enfant éprouve du plaisir à écouter une histoire de fantômes même si ça le met en un état de frayeur extrême? Par la même occasion, c'est la raison pour laquelle il y a tant de styles musicaux qui s'inspirent de la mort comme le «Death Métal» et autres.

Le fait que la mort soit irréversible soulève tant de questions sur ce qu’un mort "pourrait sentir" voire, ressentir.

Contrairement à tous les animaux et les végétaux, nous sommes les seuls êtres vivants conscients de nous-même. Ce qui fait la différence entre un homme qui meurt et une mouche qui meurt, c'est la disparition d'une vaste conscience, de profondes émotions, d'une large mémoire, d'une volonté et d'un pouvoir. Ce que la religion appelle «âme» serait certainement à mon avis cette conscience de soi-même que chacun de nous a. Dire que la mort est une disparition complète et un anéantissement total de l'«être mental» serait une grande perte! Une grande perte aussi plus que chacun de nous est unique, est spécial, est distinct, est incomparable et irremplaçable... Nous avons un sens du sentiment et d'amour très développé, l'humain peut aimer intensément, comme il peut détester sauvagement, il emmagasine durant toute sa vie une énorme énergie, cela sollicite à fond ce que la science appelle: «Les fonctions supérieures du cerveau». De ce fait, nous sommes plus nobles que la mort.

La vie est plus noble que la mort!

Qu'on soit un flash dans l'histoire après lequel on sombre dans le néant est en soi: inhumain!! Nul soit notre destin, s'il vous plaît, que notre boule d'énergie ne s'évapore pas le moment de notre mort mais flambe ailleurs ou reste-t-elle dans un état quiescent dans un autre univers-parallèle – Que la science en admet l'existence.

La science est si belle, si elle ne peut pas confirmer quelque chose, elle ne peut pas l'infirmer aussi!

Le médecin a enfin déroulé tout le linceul, et le TP a commencé!